Faut-il supprimer les César ?
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Hier soir avait lieu la cérémonie des César salle Pleyel et l'on attendait beaucoup de cette soirée. Quelques jours après la démission de l'académie et les mises en cause de son directeur, le producteur renommé Alain Terzian, soupçonné de favoritisme, de gestion opaque et autocratique (on l'accuse d'avoir imposé Louane pour La Famille Bélier, sans vote ni concertation et de promouvoir une gestion par cooptation, en clair, ce sont les amis des amis des amis d'Alain Terzian qui votent) on pensait avoir fait le ménage et pouvoir repartir sur des bases saines en tenant compte de tout ce qui s'est passé dernièrement depuis le mouvement #MeToo.
Après les remous autour de l'affaire Polanski, les révélations de l'actrice Adèle Haenel portant plainte contre le réalisateur Christophe Ruggia pour agression sexuelle entre 12 et 15 ans lorsqu'elle tournait "Les Diables", on pensait qu'il serait impensable d'élire Roman Polanski dont le nom est entaché et qui est toujours poursuivi aux Etats Unis pour viol sur mineure. Dès le début de la cérémonie, Florence Foresti donnait d'ailleurs le ton avec un humour dévastateur, plaisantant sur la taille de Polanski.
“J’ai décidé qu’Atchoum n’était pas assez grand pour faire de l’ombre au cinéma français et au reste de la sélection”.
Raté ! Le petit Roman a tout gâché! Quelques minutes avant la fin de la cérémonie qui avait vu consacrer des acteurs formidables tels Roschy Zem pour "Roubaix une lumière" ou Anaïs Demoustier pour "Alice et le maire", le nom de Voldemort est sorti de l'enveloppe pour la meilleure réalisation. (Il avait déjà eu le César de la Meilleure adaptation mais on était prêts à le lui concéder) Stupeur dans la salle! Ce qu'on redoutait tous et a donc fini par arriver! Quelques minutes après que Swan Arlaud reçoive son Award pour le rôle d'une victime violée par un curé pédophile dans "Grace à Dieu", c'est donc un réalisateur accusé de la même agression sexuelle qu'on récompense. Comprenne qui pourra !
Et le César de l'hypocrisie est attribué ... aux votants dans leur ensemble !
Le choix de Polanski n'est pas difficile à comprendre finalement quand on écoute certains votants qui ont expliqué leur choix anonymement. « Il est sympa et très populaire auprès des membres les plus âgés de l’Académie qui trouvent souvent qu’il est victime d’une chasse à l’homme » confie une attachée de presse. Les membres les plus âgés de l'Académie ? En gros, les amis d'Alain Terzian, ceux qui n'ont que faire des victimes et qui trouvent que les femmes gesticulent trop, font trop de bruit et doivent rester à leur place. Traduisez: actrice, monteuse, décoratrice ou costumière au mieux! Pendant la cérémonie, le producteur d'un court métrage voulant montrer qu'il était sensible à la cause féminine a adressé parmi ses remerciements quelques mots à un membre de son équipe de façon hyper maladroite. "Notre directrice est une femme, elle s'appelle Violaine, elle est habillée en jaune, elle est là-bas dans le fond!" Curieusement, lorsqu'il remerciait un homme, il donnait son prénom et son nom, mais elle, la femme, n'a eu droit qu'à un prénom et à une couleur de robe. Ca en dit long sur le travail à faire chez les producteurs et bon nombre des gens de la profession, des dinosaures qui campent sur leurs certitudes et leurs privilèges.
“Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire, ‘ce n’est pas si grave de violer des femmes’” déclarait Adèle Haenel quelques jours avant la cérémonie. On pense beaucoup à elle et à Céline Sciamma, la réalisatrice de "Portrait de la jeune fille en feu" que nombre de critiques donnaient gagnante pour la meilleure réalisation tant son film est maitrisé de bout en bout et sublime de créativité et d'humanité. Comme toutes les victimes d'agression sexuelle, Adèle a dû fuir, humiliée, doublement victime. Elle a quitté Pleyel dès l'annonce du nom honni, suivie par l'équipe du film de Sciamma, Noémie Merlant et Luana Bajrami toutes deux nommées et par quelques autres personnes. Les caméras de Canal + qui retransmettaient la cérémonie ont vite repris le cours du jeu, évitant de montrer les fauteuils vides, les fauteuils de la honte. Certes, il fallait continuer pour le César du meilleur film et pour "Les misérables" de Ladj Ly. Mais tout de même!
Comment Claire Denis et Emanuelle Bercot ont-elles fait pour ouvrir l'enveloppe et lire le nom de Polanski avec autant de détachement ? Après leurs beaux discours sur le renouveau, la nouvelle ère, comment ont-elles pu ne rien dire ??? Incompréhensible ! On aurait aimé qu'elles déchirent le carton, qu'elles tentent un coup d'éclat, un truc avec un peu de panache, de courage quoi !
On aurait aimé que ce cinéma français accaparé par des mâles vieillissants ait un peu plus de couilles ! Seule Adèle a osé, et Florence Foresti qui a quitté la salle elle aussi, refusant de terminer la soirée comme le veut la tradition. Sur Instagram, elle a posté en story un écran noir et le mot "Ecoeurée!" Forcément! Le prix accordé à Polanski remettait en question tout ce qu'elle avait dit précédemment, c'était un désaveu total ! Bref, on l'avait appelée à la rescousse pour animer la soirée et on la lâchait à la fin. C'était comme si on lui disait "assez rigolé, petite, rentre à la maison, laisse faire les grands maintenant!"
Quand à Sandrine Kiberlain, actrice au demeurant magnifique, dont on adore et suit la carrière depuis des années, comment a-t-elle pu cautionner ce César? Car en faisant comme si de rien n'était, on valide. Mais sachant qu'elle se prépare à réaliser son propre film, on imagine qu'elle n'a aucun intérêt à se fâcher avec les producteurs, avec la belle famille du cinéma... Cette 45ème cérémonie restera à jamais celle des lâches et des hypocrites. Les noms des lauréats vont tomber aux oubliettes et on se souviendra juste de l'année où Polanski a gagné et où personne n'a rien fait...
Votons pour la dissolution de l'Académie des Césars afin que plus jamais ce genre de mascarade ne se reproduise !
Tristesse infinie pour le cinéma !